Antigone Z, çà pourrait être le titre d'un drame antique; s'il n'a rien d'antique, c'est bien un drame social qui se joue sur le port de Douarnenez depuis plus d'une quinzaine de jours.
Antigone Z est le nom d'un cargo congélateur venu dans le port finistérien charger 1260 tonnes de chinchard et de hareng surgelés qu'il devait ensuite livrer en Egypte. Parce qu'ils ne sont plus payés depuis des mois (11mois pour certains d'entre eux), une fois la cargaison embarquée, les dix marins de l'équipage (capitaine compris) ont déclenché un mouvement de grève pour obtenir leur dû, soit un arriéré de salaires de plus de 173 000 euros. Le navire ayant des réserves de gas oil suffisantes pour faire fonctionner les frigos une quinzaine de jours seulement, c'est une course contre la montre que l'équipage (8 marins russes et deux lituaniens) a engagé contre les responsables de cette situation.
Un navire immatriculé à Panama, autrement dit, naviguant sous pavillon de complaisance; un armateur grec aux abonnés absents; une société gestionnaire du navire qui « serait » basée en Lituanie; un affréteur hollandais; une cargaison « bretonne » et un courtier basé à Brest, un équipage russo-lituanien abandonné à son sort... on a là une affaire emblématique de la mondialisation libérale; mondialisation dont un des fondements et des ressorts a justement été la déréglementation du transport international (maritime ou aérien) permettant d'abaisser les coûts de transport des marchandises à un niveau dérisoire et de faciliter ainsi la mise en concurrence des productions et des travailleurs de la Planète.
La solidarité s'est rapidement exprimée sur les quais douarnenistes. L'équipage en grève a reçu le soutien précieux de la CGT des marins et surtout de l'International Transportworkers Fédération (ITF), cette fédération syndicale internationale qui vient au secours de marins de plus en plus fréquemment laissés en rade, et souvent pour de très longs mois, dans les ports du monde par des armateurs véreux. Des marins qui se retrouvent le plus souvent sans ressources et sans moyen de rentrer chez eux. Une manifestation de soutien a eu lieu sur le port à l'appel de la CGT marins et de l'ITF, d'ATTAC, de l'association Mor Glas et du collectif local des « Solidouarnités ». Des habitants ont également pu venir exprimer leur soutien à l'équipage lors d'un concert de solidarité et d'un repas partageur.
Cette mobilisation un peu multiforme a obligé, à quelques jours du premier tour de la Présidentielle, les pouvoirs publics à se mouiller pour chercher une solution de sortie du conflit: Préfecture, Sénateur-Maire UMP, Conseil Général socialiste (« propriétaire » des installations portuaires). Il faut dire que le navire, construit en 1969, est loin d'être le yacht de Bolloré: sondeur et lecteur électronique de cartes en panne, installation électrique ayant atteint un niveau de vétusté inquiétant, au point que les affaires maritimes exigent des réparations avant d'autoriser l'Antigone Z à reprendre la mer, même si la grève se terminait. Personne n'a vraiment envie de voir ce navire abandonné on ne sait jusqu'à quand au fond du port, comme c'est trop souvent le cas dans ce genre d'affaires.
La grève de l'équipage et la menace de perte de la cargaison évaluée à 1,14 millions d'euros (leur propriétaire, comme tous les patrons, hurle à la prise d'otage) ont conduit l'affréteur à accepter des négociations pour un paiement direct, en lieu et place de l'armateur défaillant, des arriérés de salaires et des billets d'avion pour que les marins rentrent chez eux. Le débat porte désormais sur le montant de ces arriérés. On ne peut que saluer ce combat exemplaire de l'équipage et la solidarité qui l'a accompagné localement. Si l'issue semble favorable aux marins de l'Antigone Z, il reste à espérer que ce navire ne restera pas pourrir sur place et que sa destruction rapide empêchera de le voir sévir sous un autre nom et avec un nouvel armateur dans une autre région du Monde
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