Le tour de cochon du gouvernement avant la conférence environnementale

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© GILE MICHEL/SIPA
© GILE MICHEL/SIPA
Désormais, l'installation en France d'un élevage de moins de 2000 porcs ne sera plus soumis à une enquête publique. Un grave recul à quelques jours de la seconde conférence environnementale du quinquennat.
« C'est un recul environnemental grave et incompréhensible. A la limite, ce n'est pas la peine de donner une feuille de route sur l'eau lors de la prochaine conférence environnementale du gouvernement : c'est une feuille de déroute que nous allons connaître ! » Gilles Huet, délégué général d'Eaux et Rivières De Bretagne, fondée en 1969 et forte de ses 2000 adhérents et 110 associations affiliées, n'en revient toujours pas. Jeudi 12 septembre, lors du salon de l'élevage Space à Rennes, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé que désormais les installations classées comptant entre 450 et 2000 porcs seraient soumis à « un régime d'enregistrement à la place du régime d'autorisation ».
En clair, pour les porcheries de moins de 2.000 cochons, il n'y aura plus d'enquête d'utilité publique, plus d'étude d'impact sur l'environnement, plus de commissaire enquêteur ; une simple déclaration à la préfecture désormais suffira... Tant pis pour les nitrates et les algues vertes, deux dossiers noirs en Bretagne, et, d'une façon générale, pour la qualité de l'eau en France. « C'est la fin d'un garde-fou, d'un outil de régulation et surtout d'une conquête démocratique née à la fois avec la loi de 1978 sur les installations classées et la loi Bouchardeau de 1983 sur l'enquête d'utilité publique s'indigne Gilles Huet. C'est une claque considérable au discours « officiel » sur la transition écologique   ».

Pourquoi un tel renoncement ? « Il faut savoir que c'est une vieille revendication de la Fédération nationale porcine, très influente au sein de la FNSEA, le principal syndicat agricole » souligne Eaux Et Rivières de Bretagne. Aussi, après l'annonce par le gouvernement de procéder à "un choc de simplification" des documents administratifs, Xavier Beulin, président de la FNSEA, a relayé durant l'été 2013 cette demande directement auprès de François Hollande à l'Elysée. Déjà en 2010, Marc Le Fur, député UMP des Côtes d'Armor, avait déposé un amendement pour relever le seuil d'autorisation de 450 à 2 000 cochons. Bruno Le Maire, alors ministre de l'agriculture du gouvernement Fillon s'y était opposé en ces termes : « Nous ne toucherons pas aux seuils car ce serait envoyer un signal politique et rallumer la guerre du porc ».
La gauche n'était pas en reste. Jean-Yves Le Drian, alors président (PS) de la région Bretagne jugeait alors cet amendement « démagogique et dangereux ». Marylise Lebranchu, alors députée (PS) du Finistère écrivait même en ces termes à Eaux et Rivières de Bretagne : « Il est évident que le groupe socialiste demandera le retrait de cet amendement qui serait un recul considérable en matière d'environnement dans un contexte de mise en place de la lutte contre la prolifération d'algues vertes sur nos plages et l'augmentation du taux de nitrates dans les eaux bretonnes ». Aujourd'hui, devenus ministres du gouvernement Ayrault, Jean Yves le Drian et Marylise Lebranchu sont devenus muets sur le sujet. "Comment voulez-vous que les citoyens croient encore à la parole des hommes politiques", questionne Gilles Huet, d'Eaux et Rivières de Bretagne.
A la suite de l'annonce de Jean-Marc Ayrault, France Nature Environnement, qui regroupe plus de 1000 associations de protection de l'environnement sur le territoire français (dont Eaux et Rivières de Bretagne), a décidé de claquer la porte des Etats généraux de modernisation du Droit de l'environnement, l'un des engagements issus de la première conférence environnementale de 2012.
Pourtant, la décision risque de coûter cher. Le 25 juillet dernier, le juriste Arnaud Gossement, spécialisé dans le droit de l'environnement, avait mis en garde les pouvoirs publics contre cet assouplissement dans un long mémorandum  : « Cela constituerait une carence du dialogue environnemental qui ferait prendre le risque à la fois de raviver la guerre des cochons et le risque de nouvelles condamnations par le juge européen ». Il faut savoir, en effet, que pour cause de mauvaise application de la directive nitrates de 1991, la Cour de justice de l'Union Européenne a condamné la France, le 13 juin 2013, à 60 millions d'euros et à une astreinte de 150.000 euros par jour ! Alors que la France avait déjà échappé de peu à une condamnation similaire en 2007, on voit mal comment elle pourrait cette fois l'éviter. D'ailleurs, si l'on regarde la carte des zones vulnérables aux nitrates, établie par le ministère de l'écologie en 2012, la totalité de la Bretagne – avec ses 8.000 éleveurs et ses 15 millions de porcs -  y figure en rouge (cliquez sur la carte ci-contre pour l'agrandir).
«  Tout cela, c'est le contribuable français qui le paiera de sa poche, avertit Gilles Huet. Alors que les différents plans en cours – le programme algues vertes, le programme bassin versant et  le 5e plan de reconquête de qualité des eaux lui coûte déjà 334 million d'euros ».
Bernard Rousseau, spécialiste du dossier Eau à FNE, viendra quand même à la table ronde sur l'eau, toujours prévue à la conférence environnementale des 20 et 21 septembre à Paris. «  Mais tant que c'est l'agro-business qui fera la loi, je ne vois comment on pourra avancer », reconnait-il. Ainsi, il doute de plus en plus que la France pourra atteindre l'objectif du « bon état écologique des eaux et des milieux aquatiques » fixé  par la directive cadre européenne sur l'eau (DCE) à l'horizon 2015. « En 2009, nous étions déjà très moyens avec seulement 41 % des masses d'eau en bon état, soit le 14e rang européen. L'objectif, fixé par le Grenelle de l'Environnement était de passer au moins à 66 %. Cela devient mission impossible ».

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